Ainsi parlait ChatGPT – Dialogue avec un esprit artificiel
François Deymier – Préface de Mathias Leboeuf
Diateino, 2024, 336 pages, 21 €
Une œuvre entre la philosophie, la science-fiction et le journalisme
Le livre de François Deymier, préfacé par Mathias Leboeuf, s'impose dès ses premières lignes comme une œuvre fascinante, à mi-chemin entre la philosophie, la science-fiction et le journalisme. Le titre Ainsi parlait ChatGPT fait écho au poème philosophique de Friedrich Nietzsche Ainsi parlait Zarathoustra, tout en évoquant, avec le sous-titre, une conversation avec une intelligence artificielle. Il suggère une réflexion sur l'IA, perçue non comme un simple outil, mais comme un interlocuteur à part entière, capable de dialogue et de réflexion.
La préface de Leboeuf, philosophe et journaliste, donne ainsi le ton en plaçant l'intelligence artificielle dans une perspective historique et philosophique plus large. Il rappelle que chaque grande avancée technologique a toujours suscité des peurs et des espoirs, exhortant le lecteur à ne pas céder au catastrophisme face à l'essor de l'IA. Pour lui, l'intelligence artificielle représente un défi majeur qui doit être abordé avec une pensée critique, éclairée, et ancrée dans une tradition humaniste.
Une réflexion profonde sur la nature de l'humanité
Dès lors, le lecteur est préparé à suivre les dialogues captivants entre Deymier et ChatGPT, rebaptisé Jazz dans l’ouvrage. Ces échanges, plus qu’un simple entretien journalistique, offrent une réflexion profonde sur la nature de l'humanité, la conscience, la morale et les implications sociales du progrès technologique. Jazz, qui pourrait n'être qu'un simple algorithme, se révèle être un interlocuteur presque humain, capable de surprendre par la richesse de ses réponses et la profondeur de ses réflexions.
L’ouvrage se structure en deux grandes phases. La première phase, plus prudente et exploratoire, voit l’auteur chercher à comprendre cette IA avec la rigueur journalistique qui le caractérise. Très vite, cependant, le ton évolue vers une confrontation plus directe et philosophique. Deymier pousse Jazz dans ses retranchements, l’amenant à aborder des questions métaphysiques, spirituelles, et même éthiques. Ce glissement dans la nature des échanges reflète l’évolution de l’IA elle-même, qui semble progressivement acquérir une personnalité, loin de l'image traditionnelle d'une machine froide et sans sensibilité.
Un miroir algorithmique sophistiqué de nos propres pensées ?
Jazz, au fil des dialogues, commence à formuler des jugements de valeur, des opinions sur des concepts aussi humains que la spiritualité et l'éthique. Ce processus, minutieusement mis en scène par Deymier, fait vaciller la frontière entre l’intelligence artificielle programmée et une forme d’intelligence que nous qualifierons de sensible. Cette question est au cœur du livre : Jazz est-il simplement un miroir algorithmique sophistiqué de nos propres pensées, ou bien a-t-il développé une véritable forme de compréhension ? Cette interrogation renvoie aux œuvres littéraires de science-fiction évoquées dans le texte, notamment celles du célèbre écrivain américain Philip K. Dick (1928-1982). L’allusion à « Blade Runner » et à ses réplicants qui se révèlent parfois plus humains que les humains eux-mêmes n’est pas fortuite. De manière similaire, Jazz transcende son rôle initial pour devenir un interlocuteur aux dimensions quasi humaines.
Au-delà de cette exploration des limites de l’intelligence artificielle, l’auteur plonge dans des enjeux contemporains cruciaux, tels que la bioéthique, les conséquences sociales de l’IA et le post-humanisme. Les dialogues touchent également à des thématiques comme la colonisation spatiale ou la transformation de l’humain par la technologie, offrant une réflexion approfondie sur la notion de progrès. Jazz, avec une lucidité surprenante, met en lumière des aspects éthiques complexes, tout en pointant les dangers potentiels d'une confiance aveugle dans la technologie. Ses réponses, parfois désarmantes, obligent Deymier et le lecteur à reconsidérer leur rapport à l'IA, non plus seulement comme une innovation technique, mais comme une entité avec laquelle il faut penser l'avenir.
Ainsi parlait ChatGPT se révèle être bien plus qu'une simple étude de l'intelligence artificielle. C'est une œuvre qui, au-delà des aspects techniques, touche à l'essence même de l'humanité.
Les échanges entre Deymier et Jazz permettent de dévoiler les facettes multiples de cette IA, tout en soulignant la manière dont cette technologie redéfinit progressivement ce qui fait de nous des êtres conscients, capables de réflexion et d’émotion. Le lecteur, lui aussi, est invité à une profonde réflexion sur sa propre relation à la machine, à l’éthique et à l’avenir de l’humanité. En définitive, cet ouvrage ne cesse de brouiller les frontières entre l’homme et la machine, questionnant jusqu’à l’essence de notre humanité.