Dominique Vergnolle - Éditions Numérilivre, Coll. Chemins de l’Art Royal, 166 pages, 22 €
En cette année du bicentenaire de la naissance au ciel de Jean-Baptiste Willermoz, Dominique Vergnolle nous plonge dans l’univers fascinant de ce grand initié du XVIIIe siècle, à travers ses expériences, ses rencontres et ses quêtes spirituelles. Cet ouvrage constitue un hommage au père fondateur du Rite Écossais Rectifié (RER) et à son rôle central dans la structuration du régime maçonnique tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Au-delà de l’image du réformateur maçonnique que l’on attribue souvent à Willermoz, ce livre explore les aspects plus personnels et moins connus de sa vie spirituelle. En effet, Dominique Vergnolle met en lumière les différentes phases de sa quête initiatique, ses enthousiasmes mais aussi ses désillusions face aux divers systèmes auxquels il a été confronté. Ce premier volume, intitulé « La haute science », s’articule autour des relations spirituelles que Willermoz a entretenues avec les grandes figures de son temps, et notamment avec ses amis et confrères tels que Martines de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin, ou encore Ferdinand de Brunswick.
L'une des forces de cet ouvrage réside dans sa capacité à concilier des récits historiques précis avec une approche spirituelle plus intime. Dominique Vergnolle parvient à transmettre la profondeur des réflexions de Willermoz sur des sujets tels que la maçonnerie, la théurgie ou la quête de la rédemption par la foi chrétienne, tout en nous faisant découvrir l'homme derrière le maçon. À travers des extraits inédits de correspondances, des aphorismes et des maximes, nous accédons à la pensée d'un homme dont la vie fut marquée par des joies spirituelles intenses, mais aussi par des moments de doute et de désillusion. La mise à disposition de ces documents précieux nous permet de mieux comprendre comment Willermoz s'est efforcé de concilier ses ambitions maçonniques avec ses aspirations mystiques plus profondes.
La première partie de l'ouvrage se concentre sur les grandes étapes de la vie de Willermoz, en commençant par ses débuts dans le monde maçonnique à Lyon. Rapidement, il se distingue par son talent pour organiser et structurer les loges, notamment en fondant la Grande Loge des Maîtres réguliers de Lyon, avant de s’élever aux plus hauts grades maçonniques. Cependant, malgré ses succès dans ce domaine, Willermoz se montre vite insatisfait par ce qu’il appelle l’« empilement » des grades maçonniques, qu’il perçoit davantage comme une distraction que comme un véritable chemin vers la Vérité.
C’est en rencontrant Martines de Pasqually, en 1767, que sa quête spirituelle prend un tournant décisif. Pasqually, fondateur de l’Ordre des Chevaliers-Maçons Élus Coëns de l’Univers, lui révèle une nouvelle dimension initiatique centrée sur la théurgie et la réconciliation de l’homme avec Dieu. Pour Willermoz, cette rencontre est une véritable révélation. Il s’immerge dans les pratiques des Élus Coëns, espérant y trouver les réponses aux questions spirituelles qui le hantent depuis longtemps. Ce cheminement vers la haute science spirituelle et mystique, dominé par des pratiques théurgiques, lui procure une joie immense mais, avec le départ de Martines de Pasqually pour Saint-Domingue en 1772, cette joie fait bientôt place à la frustration. L’éloignement de son maître et le manque de clarté dans les instructions théurgiques affaiblissent la progression de l’ordre et plongent Willermoz dans le doute.
L’ouvrage de Dominique Vergnolle ne s’arrête pas aux seules réussites spirituelles de Willermoz. Il éclaire également les nombreuses désillusions auxquelles il a été confronté, notamment avec l'Ordre de la Stricte Observance Templière, un système maçonnique dans lequel Willermoz place de grands espoirs au début des années 1770. Mais, après avoir découvert que cet ordre ne repose sur aucune filiation réelle avec les Templiers du Moyen Âge, et qu'il ne détient aucun savoir ésotérique particulier, Willermoz est de nouveau déçu. Cette désillusion le pousse à initier sa propre réforme, en intégrant au Rite Écossais Rectifié les connaissances qu’il avait acquises auprès de Martines de Pasqually. Cette réforme sera entérinée lors du Convent des Gaules de 1778.
L’un des thèmes récurrents dans cet ouvrage est l’idée que la quête spirituelle de Willermoz n’a jamais été un long fleuve tranquille. Il a dû constamment naviguer entre des enthousiasmes profonds, nourris par des amitiés spirituelles sincères, et des désillusions tout aussi intenses, qui l’ont souvent laissé dans un état de questionnement profond. L’auteur, Dominique Vergnolle, parvient à restituer cette tension avec finesse, en alternant entre une narration historique rigoureuse et des passages introspectifs tirés des écrits de Willermoz.
Ce livre est également un hommage aux relations fraternelles qui ont marqué la vie de Willermoz. Ses échanges avec des figures telles que Ferdinand de Brunswick ou le prince de Hesse-Kassel, bien que marqués par des divergences spirituelles, ont contribué à forger sa vision de la maçonnerie comme un outil de rédemption et de transformation spirituelle.
S’inscrivant dans la nouvelle collection « Chemins de l’Art Royal » dédiée à l’exploration des grandes figures de la tradition maçonnique et à la transmission de leurs enseignements, ce dernier opus de Dominique Vergnolle est bien plus qu’un simple ouvrage historique. C’est une plongée dans la quête inlassable d’un homme pour atteindre les plus hauts sommets de la connaissance spirituelle, un homme déchiré entre ses aspirations mystiques et les limites des systèmes maçonniques auxquels il appartenait. La richesse de cet ouvrage réside dans la profondeur de son analyse, ainsi que dans l’accès inédit qu’il offre à la pensée intime de Willermoz, à travers ses écrits et correspondances. Un livre indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la franc-maçonnerie, à l’histoire des idées spirituelles et à la figure fascinante de Jean-Baptiste Willermoz.