Les éditions de la Tarente. Coll. Étienne Dolet. 472 pages. 34 €
Fruit d’un long travail de recherche amorcé dès sa thèse de doctorat – Magnétisme, mystique et ésotérisme chrétiens chez quelques disciples de Nizier Anthelme Philippe, soutenue en 2015 à l’École pratique des hautes études (EPHE) sous la direction de Jean-Pierre Brach – l’ouvrage de Jean-Christophe Boucly s’inscrit dans une filiation savante, à la fois rigoureuse et inspirée. Ce socle académique confère à Les disciples de Maître Philippe une profondeur méthodologique alliée à une densité rare, née d’un compagnonnage intérieur autant que d’une enquête patiente.
Une œuvre habitée, loin des classifications convenues
Dans un monde pressé de tout classifier, où la pensée se fragmente et le spirituel se dilue dans des catégories inoffensives, il est des œuvres qui tracent un autre sillon. Les disciples de Maître Philippe – Vie, œuvres et doctrines, publié aux éditions de la Tarente dans la collection Étienne Dolet dirigée par Philippe Subrini, fait partie de ces rares ouvrages qui, loin de survoler un sujet, l’habitent pleinement.
L’esprit d’Étienne Dolet
Cette collection, nommée en hommage à Étienne Dolet (1509–1546), humaniste, imprimeur et érudit français exécuté pour ses idées jugées hérétiques, incarne un esprit de résistance intellectuelle et de quête de vérité face à l’orthodoxie. Étienne Dolet, figure martyre de la liberté de penser, symbolise le courage de défendre des idées audacieuses – un écho particulièrement pertinent à l’approche choisie par Jean-Christophe Boucly pour explorer la lignée spirituelle de Nizier Anthelme Philippe.
Ni biographie, ni simple essai : une traversée intérieure
Il ne s’agit ici ni d’une biographie de plus, ni d’un simple essai sur une figure marginale de l’ésotérisme chrétien. Il s’agit d’une traversée. D’un compagnonnage avec l’invisible. D’un acte de fidélité à une filiation silencieuse.
Maître Philippe, foyer vivant
Tout part ici, non d’un dogme, mais d’un foyer. Ce foyer, c’est Nizier Anthelme Philippe (1849–1905), dit Maître Philippe de Lyon, homme discret, insaisissable, que certains vénéraient comme un thaumaturge, que d’autres consultaient comme un médecin de l’âme, et que ses disciples suivaient comme un maître intérieur. Jean-Christophe Boucly ne cède jamais à la fascination ni à la tentation d’en faire une figure de légende.
Une méthode d’approche, non d’analyse
L’introduction dessine les contours d’une méthode d’approche plus que d’analyse, fondée non sur l’architecture d’un savoir mais sur la patience d’un silence. Car la transmission de Philippe, tout en effleurements et en effacements, n’offre ni corpus ni dogme ; elle exige d’être approchée comme une présence, non comme un système.
Une écriture au seuil
Jean-Christophe Boucly ne prétend jamais reconstituer ce qui fut. Il se tient au seuil, sans jamais vouloir forcer l’accès. Il accueille ce qui affleure, recueille ce qui survit. Il délaisse les discours lisses où tout s’assemble, pour s’attacher aux traces ténues, aux survivances fragiles, aux failles fertiles.
Un sommaire comme parcours initiatique
Le sommaire épouse la logique d’un parcours initiatique. Du centre vers les cercles, de Philippe vers ceux qu’il a touchés. Après une mise en contexte de la tradition mystique lyonnaise, l’auteur explore l’enseignement de Philippe, ses liens avec le magnétisme, sa reconnaissance jusque dans la Russie tsariste, avant d’entrer dans le cœur de l’ouvrage : les figures de ses disciples.
Portraits des disciples
Jean Chapas (1863–1932) : héritier silencieux, présence humble et fidèle.
Paul Sédir (Yvon Le Loup, 1871–1926) : mystique christique après un passé occultiste.
Marc Haven (Emmanuel Lalande, 1868–1926) : médecin, penseur hermétique, interprète nuancé.
Phaneg (Georges Descormiers, 1876–1935) : visionnaire cosmique, prolongateur inventif.
André Savoret (1898–1977) : alchimiste, druide et poète, figure mystérieuse et inspirante.
Une prose claire, une érudition maîtrisée
Jean-Christophe Boucly n’érige pas un monument, mais construit un Temple. Sa langue est claire, élégante, jamais affectée. Elle refuse l’ésotérisme de façade pour se tenir au plus près de l’expérience vécue. Son érudition, ample et précise, irrigue sans jamais peser.
Une structure initiatique
La structure même de l’ouvrage épouse une architecture initiatique : vestibule méthodologique, nef biographique, lumière terminale. Ce que nous rappelle ce livre, c’est qu’il n’est de maître que s’il y a transmission vivante, et qu’il n’est de disciple que par fidélité au souffle.
Une édition exemplaire
Il faut saluer ici une publication d’une qualité rare. La bibliographie (pages 402 à 433), les dix annexes, les textes inédits de Philippe, l’index rigoureux : tout témoigne d’un labeur méticuleux. Rien d’ostentatoire. Tout est mesure, silence, justesse.
Conclusion : un appel à l’itinéraire intérieur
Lire Les disciples de Maître Philippe, c’est approcher une fraternité invisible. C’est entrer dans un espace de fidélité, de lumière douce, de patience. C’est, en somme, s’exposer à une tradition qui ne s’impose pas, mais qui s’offre. Et dans cette offrande, chacun peut reconnaître l’appel d’un itinéraire intérieur.
Un livre rare. Une œuvre de transmission. Une leçon silencieuse.