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Arsène Lupin – La symphonie des coïncidences

Patrick Ferté
8 octobre 2025 par
Mise à jour sites

Guy Trédaniel éditeur, 2025, 516 pages, 24,90 €


Avec Patrick Ferté, le lecteur, qu’il soit initié ou non, pénètre dans un univers où la littérature se métamorphose en rituel et où le roman policier se révèle comme une liturgie secrète. Arsène Lupin n’apparaît plus comme le gentleman cambrioleur de nos imaginaires populaires, il se dresse sous nos yeux comme un Hermès contemporain, messager des arcanes, voleur de certitudes et donneur de lumière.

Le parcours de Patrick Ferté

Patrick Ferté, qui n’a jamais cessé d’arpenter le triangle d’or haut-normand d’Elbeuf, terre natale d’Arsène Lupin et de son propre destin, a quitté les voies académiques pour se livrer à un jeu dangereux, celui de déchiffrer dans l’œuvre de Maurice Leblanc (1864 – 1941) un immense cryptogramme.

Spécialiste reconnu de l’histoire sociale et intellectuelle des XVIe-XVIIIe siècles, publié en France, en Irlande et au Canada, Patrick Ferté fut un universitaire rigoureux avant de se détourner du CNRS afin de poursuivre une quête où érudition et ésotérisme se répondent. Ce passage, qu’il qualifie lui-même de « mur franchi », l’a conduit à faire de Lupin un compagnon occulte, un intercesseur symbolique, un frère caché.

Les premières recherches : Arsène Lupin Supérieur Inconnu

Dès 1992, avec Arsène Lupin Supérieur Inconnu, il posait les fondations d’une telle lecture. Ce livre pionnier, réédité en 2004 et 2021, révélait déjà que l’œuvre de Maurice Leblanc était bâtie sur un double fond, qu’elle abritait une architecture cachée faite d’allusions à Gisors, à Rennes-le-Château, à Stenay, autant de hauts lieux de l’histoire secrète de la France.

Patrick Ferté avait alors montré qu’Arsène Lupin, loin d’être seulement une figure de roman, avait cambriolé l’histoire hermétique elle-même, transformant chaque aventure en filigrane initiatique.

La symphonie des coïncidences : un cryptogramme initiatique

Avec La symphonie des coïncidences, il approfondit, élargit et systématise cette lecture codée, déployant une cathédrale de signes où le lecteur averti chemine comme dans une loge obscure dont il faut apprendre à déchiffrer les hiéroglyphes.

Le cahier central illustré

Un magnifique cahier central de 24 pages, rassemblant 34 illustrations, donne chair à cette architecture invisible. Gravures, documents, extrait de journaux, photographies anciennes et symboles ésotériques viennent y tracer une constellation visuelle qui répond au texte comme les vitraux répondent à la pierre d’une cathédrale.

Ces images, loin d’être de simples ornements, sont des portes. Elles nous invitent à franchir le seuil de l’imaginaire lupinien pour accéder à une lecture plus intérieure, plus vibrante, comme si nous feuilletions le livre de la vie secrète d’Arsène Lupin. Ce cahier central devient un rituel silencieux. Il matérialise le réseau des correspondances, il rend visible l’invisible, il place le lecteur au centre d’une chambre initiatique où les signes convergent.

Une méthode de lecture ésotérique

Ce livre n’est cependant pas destiné à tous. Il exige un regard formé à la lecture symbolique, une familiarité avec les sociétés secrètes, une disposition à considérer la coïncidence comme manifestation de la Providence.

La règle de l’intrication

L’initié, lui, y reconnaîtra aussitôt une méthode proche de celle de la Franc-Maçonnerie. Car Patrick Ferté ne lit pas, il relit. Il ne constate pas, il relie. Il ne décrit pas, il révèle.

Sa règle est unique, mais redoutable : l’intrication. Ce qui revient, ce qui converge, ce qui s’entrelace ne peut être fortuit. Le hasard devient alors synchronicité, le détail devient signe, la répétition devient message. Ainsi s’opère la transmutation… La littérature populaire devient langage ésotérique, la fiction devient rituel, Lupin devient maître du labyrinthe.

La traversée initiatique

Tout le livre se construit comme une traversée initiatique. Le chandelier à sept branches répond à la toile d’araignée, la clarté s’oppose à l’enchevêtrement, l’ordre caché se fraye un passage au cœur du chaos.

Les étapes symboliques

Le dolmen et les apparitions, les anguilles sous roche et les rendez-vous occultes sont autant d’étapes d’un chemin initiatique où le chercheur doit affronter les illusions de la matière avant d’atteindre la lumière intérieure.

Arsène Lupin, derrière son masque, incarne ce Supérieur Inconnu qui guide sans livrer de clé, qui se dérobe pour obliger l’initié à franchir lui-même les degrés de la compréhension.

Patrick Ferté nous convie à un exercice de méditation où l’œuvre de Maurice Leblanc se lit comme un rituel : l’apparente anecdote dissimule une architecture, l’événement narratif recèle un symbolisme, la coïncidence devient révélation.

Voyage ésotérique et influences initiatiques

Et le voyage initiatique nous conduit loin, bien au-delà de l’horizon romanesque. Nous foulons Malte et ses pierres chevaleresques, Héliopolis et son culte solaire, Naples et ses traditions hermétiques, nous croisons les loges martinistes et rosicruciennes, mais aussi l’Ordo Templi Orientis (O.T.O.).

Lupin et l’O.T.O.

Société initiatique née au début du XXᵉ siècle, d’abord influencée par les rites maçonniques irréguliers et l’ésotérisme européen, puis transformée par Aleister Crowley en véhicule de la philosophie thélémite, l’O.T.O. mêle alchimie, kabbale et magie cérémonielle aux pratiques rituelles.

Cette présence de l’O.T.O., dans l’imaginaire de Patrick Ferté, n’est pas un détail anecdotique : elle atteste que Lupin circule jusque dans ces marges initiatiques, devenant un filigrane entre Maçonnerie, Rose-Croix, hermétisme et occultisme moderne.

L’ombre de Cagliostro

Derrière tout cela plane l’ombre de Giuseppe Balsamo (1743 – 1795), plus connu sous le nom d’Alessandro, comte de Cagliostro, aventurier sicilien… Ce Cagliostro que l’on surnomma le « grand Cophte », figure de l’initié démiurge et artisan de transmutations.

Une toile de synchronicités

Nous relisons Gérard de Nerval (1808 – 1855) et nous croisons les roses mystérieuses, nous avançons dans une toile où chaque fil a été tissé pour tromper l’œil inattentif mais pour guider celui qui sait.

L’araignée, métaphore obsédante, devient l’architecte de ce monde de coïncidences, l’équivalent d’un démiurge souterrain. Le lecteur, pris dans la toile, n’est pas prisonnier mais initié : il découvre que l’intrication est une loi secrète du réel.

Synchronicité et révélation

Le fil d’or de ce parcours est la synchronicité. Patrick Ferté revendique, à la manière de Carl Gustav Jung (1875 – 1961), que ces coïncidences signifiantes ne sont pas des hasards mais des messages.

Lire Maurice Leblanc devient alors une expérience spirituelle, comme lire nos rituels : ce qui se répète, ce qui s’aligne, ce qui se répond est à comprendre comme une lumière surgie dans le chaos.

L’avant-propos du livre est explicite. Tout ce travail est un jeu, mais un jeu dangereux, car nul ne sort indemne de cette toile cryptée. L’initié le sait. L’initiation commence comme un divertissement et se révèle un chemin de transformation.

Une cérémonie de dévoilement

Ainsi, La symphonie des coïncidences est à la fois une œuvre d’érudition et une cérémonie de dévoilement. Le lecteur profane pourra y voir une excentricité érudite, mais le lecteur averti comprendra qu’il s’agit d’un rituel de lecture, d’un Temple de papier, d’une loge invisible où Lupin siège parmi les grands intercesseurs entre l’ombre et la lumière.

Arsène Lupin devient alors un gentleman initiateur, voleur de nos certitudes mais dispensateur de vérité. Ferté nous montre que ce cambrioleur de fiction a cambriolé le cœur même de l’histoire hermétique de la France et qu’il en a restitué les joyaux sous la forme d’une légende moderne.

Conclusion : Lupin, Supérieur Inconnu

Nous refermons ce livre comme on ferme les portes d’un Temple après la Tenue. Nous savons que nous avons participé à une cérémonie silencieuse, que nous avons été confrontés à l’ombre et que nous avons entrevu la lumière.

Et nous comprenons qu’il faudra relire, encore et encore, car ce livre est un rituel sans fin, un Grand Œuvre en mouvement, une toile initiatique dont nous ne sommes pas les spectateurs mais les participants.

Patrick Ferté a su donner à Arsène Lupin sa véritable dimension ! Celle d’un Supérieur Inconnu qui, derrière son sourire et son masque, nous invite à déchiffrer le grand cryptogramme de l’existence.

Yonnel Ghernaouti, YG


Mise à jour sites 8 octobre 2025
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